Notre collègue Yves Jeanneret, professeur émérite en Sciences de l’information et de la communication au Celsa Sorbonne Université, nous a quittés le 25 mai. Nous rendons ici hommage à la place majeure qu’il a occupée au sein de notre discipline et dans les identités scientifiques de plusieurs membres d’ELICO

Normalien, littéraire de formation, Yves Jeanneret était un érudit dont la culture bouillonnante et plastique fascinait, tout comme l’intensité profondément humaine de ses interventions, de son engagement, de son écoute. C’était un honnête homme, humaniste et dévoué au collectif, comme collègue, comme directeur d’études et de thèses, comme président du CNU. Le parcours qu’il a accompli au sein des SIC depuis son arrivée à Lille en 1997 a été profondément fondateur aux plans scientifique et institutionnel. Yves Jeanneret a construit, depuis sa thèse portant sur Romain Rolland, un questionnement centré sur les intermédiaires des savoirs et de la culture, et sur les passages, sur les pouvoirs invisibles, tapis derrière les signes et les formes, derrière les évidences, ce qu’il appelait « trivialité ». Ses recherches novatrices sur la diffusion scientifique comme sur les médiations culturelles ont contribué à ouvrir les frontières entre des domaines cloisonnés. Il a ainsi renforcé théoriquement les liens entre les sciences de la documentation et celles de la communication, dessinant des chemins de traverse vers l’économie politique de la communication de manière visionnaire, entre la sémiologie et la socio-économie de la culture.

En plusieurs décennies, il a forgé, en bonne compagnie et avec le souci constant de valoriser d’abord les collectifs de recherche auxquels il participait, un programme de recherche précurseur et exigeant sur les médiations numériques. Il n’a cessé d’interroger, jusqu’à ces derniers mois, les objets les plus contemporains pour remettre sur le métier, toujours, les savoirs qu’il avait contribué à forger sur l’écriture numérique. Son dernier ouvrage, La Fabrique de la trace (2019), s’attaquait, avec une virtuosité critique flamboyante, à la question brûlante et politique des données numériques. La sémiologie qu’il pratiquait était toujours profondément sociale, traversée et bousculée par les terrains explorés, par les acteurs rencontrés, par l’appréhension sensible, sensorielle et concrète des transformations culturelles, industrielles et technologiques des passages.

Le doute était un moteur fulgurant de sa pensée toujours en mouvement et en renouvellement, curieuse et créative. Ses nombreux écrits racontent un parcours scientifique et humain infiniment riche. Lisons et relisons-les, discutons-les, braconnons-les, sans volonté de monumentalisation et dans une trivialisation vivante.

 

Julia Bonaccorsi